extrait du roman le fils du pauvre
Voici un extrait que j'ai préféré dans le roman de M.Feraoun
TENDRESSE PATERNELLE .
Le père Ramdane réussissait avec beaucoup de vigilance à assurer à la maisonnée le maigre couscous quotidien. Lorsque les travaux était momentanément arrêtés, il se faisait manœuvre et aidait comme journalier deux maçons qui construisaient pour les riches.
Quand on a bâti au village le premier moulin à presse hydraulique, puits et pompe, mon père y a travaillé vingt-deux jours. Ces journées m’ont laissé aussi leur souvenir.
Les travaux avaient débuté au mois de juin, je crois. Nous étions encore à l’école. Le chantier se trouvait juste en face de chez nous, à une centaine de mètres. Il y avait là, en même temps que mon père, notre cousin Kaci le père de Said et Arab, le père d’Achour, un camarade d’école!
Dés le premier jour, à onze heures, Said nous propose d’allez voir nos parents ; nous acquiesçons, Achour et moi. Nous avons compris à demi-mot ce que veut dire Said. N’est ce pas à onze heures que le patron fait arrêter le travail pour le déjeuner.
Nous tombons sur eux, avec une louable exactitude, au même moment que les plats. Nos pères respectifs sont vivement contrariés. Mais le patron est généreux. Il nous ordonne de nous asseoir et nous mangeons, la tête basse. Nous mangeons quand même. D’abord une bonne soupe avec des pommes de terre, et nous recevons chacun un gros morceau de galette levée ; puis du couscous blanc de semoule, avec de la viande. Devant de telles richesses, la joie prend le pas sur la honte du début. Dès que nos estomacs sont pleins, nous nous sauvons. Le front ruisselant de sueur, sans remercier personne, emportant dans nos mains ce qui nous reste de viande et de galette.
Le soir, ainsi que je m’y attendais, mon père n’était pas content de moi. Il n’insista pas beaucoup pour ne pas me faire de peine et me promit de m’apporter chaque soir la plus grande partie de ce que lui reviendrait de ces fameux repas.