Avec Désert - prix Renaudot en 1980 - Le Clézio, écrivain discret, presque secret, accède à une reconnaissance enthousiaste du public. Depuis, sa notoriété ne s'est pas démentie au fil d'une production pourtant singulière, tant par la forme qui rompt avec le formalisme du roman que par les thèmes toujours en marge d'un monde qui avance irrémédiablement. Nourris au sein de la nature vierge, de la mer ou des déserts, les personnages de Le Clézio, abreuvés de légendes intimes ou porteurs de l'histoire des peuples, errent inlassablement sur les chemins du retour. La certitude de l'appartenance, le souvenir des paysages perdus, constituent les forces vitales que ne peuvent ébranler la vulgarité des hommes ou l'emprise de la ville. Telle Lalla, arrivée dans les quartiers sordides de Marseille comme un navire échoué, mais avec la lumière du désert dans les yeux et le sang des guerriers du Rio de Oro dans les veines. Alors, si la force de l'identité rend tout exil cruel, elle tient aussi lieu d'espoir.
L'hiver 1909 voit la dernière odyssée des hommes bleus du désert, venus, de plus en plus nombreux, rejoindre les guerriers du grand cheikh Ma el Aïnine, « L'Eau des yeux », aux portes de Smara, dans la vallée de la Saguiet el Hamra. En route depuis des mois, des années, pour chasser les « soldats des chrétiens », ils marchent inlassablement. Les uns sont morts, les autres sont nés. Smara héberge les tribus mais cette ville n'est qu'une halte, jusqu'à ce que Ma el Aïnine et son fils indiquent la direction : le nord, vers la vallée du grand fleuve Souss. Après une longue nuit de prière, les nomades se remettent en route; aux jours brûlants succèdent les nuits glacées. Le jeune Nour, de la lignée d'Al Azraq, l'Homme Bleu, celui qui montra la Voie au grand cheikh, est du voyage. Ils sont plusieurs milliers à marcher, enveloppés dans le grand silence du