Disertation victor hugo peine de morts
250 mots
1 page
Mais vous, est-ce bien sérieusement que vous croyez faire un exemple quand vous égorgillez misérablement un pauvre homme dans le recoin le plus désert des boulevards extérieurs ? En Grève, en plein jour, passe encore ; mais à la barrière SaintJacques ! mais à huit heures du matin ! Qui est-ce qui passe là ? Qui est-ce qui va là ? Qui est-ce qui sait que vous tuez un homme là ? Qui est-ce qui se doute que vous faites un exemple là ? Un exemple pour qui ? Pour les arbres du boulevard, apparemment. Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions publiques se font en tapinois ? Ne voyez-vous donc pas que vous vous cachez ? Que vous avez peur et honte de votre œuvre ?Qu’au fond vous êtes ébranlés, interdits, inquiets, peu certains d’avoir raison, gagnés par le doute général, coupant des têtes par routine et sans trop savoir ce que vous faites ? Ne sentez-vous pas au fond du cœur que vous avez tout au moins perdu le sentiment moral et social de la mission de sang que vos prédécesseurs, les vieux parlementaires, accomplissaient avec une conscience si tranquille ? La nuit, ne retournez-vous pas plus souvent qu’eux la tête sur votre oreiller ? D’autres avant vous ont ordonné des exécutions capitales, mais ils s’estimaient dans le droit, dans le juste, dans le bien. Vous, dans votre for intérieur, vous n’êtes pas bien sûrs de ne pas être des assassins !
Victor Hugo, Préface de 1832 pour Le dernier jour d’un condamné