Demain dès l'aube...
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Analyse:
Le poème est écrit comme le discours d’un narrateur qui tutoie un interlocuteur restant inconnu, pour lui raconter, à la première personne et au futur, de quelle manière il va partir le lendemain dès l’aube et, sans jamais se laisser distraire par son environnement, marcher à travers la campagne pour le rejoindre. De manière inattendue, ce voyage s’avère finalement plus triste qu’on aurait pu l’imaginer, puisque la fin du poème révèle que cette personne chère, à laquelle le narrateur s’adresse et qu’il part retrouver, est en fait morte, et qu’il se rend dans un cimetière pour fleurir sa tombe.
À la lumière des événements qui ont marqué la vie de l’auteur, on comprend que ce poème est autobiographique et que Victor Hugo s’y adresse à sa fille Léopoldine, disparue quatre ans plus tôt, et dont il commémore la mort dans un pèlerinage annuel entre Le Havre et Villequier, le village de Normandie où elle s’est noyée et où elle est enterrée.
La date réelle d’écriture est le 4 octobre 1847 : Victor Hugo l’a modifiée en 3 septembre, veille de l’anniversaire de la mort de sa fille. Pauca meae est en effet une reconstruction artificielle qui commence par l’évocation de souvenirs attendris de l’enfance de Léopoldine, se poursuit par l’abattement devant la mort et se termine par une consolation religieuse avec les figures positives qui achèvent les derniers