Commentaire d'un extrait de la sauvage d'anouilh
« Les deux royaumes »
Thérèse, à Florent. ─ Tu ne dis plus rien ? Tu sens que je suis loin de toi maintenant que je m’accroche à lui… Ah ! tu m’as tirée à toi, tu sais, avec ta grande force et ma tête se cognait à toutes les pierres du chemin… Mais je t’ai échappé, maintenant. Tu ne pourras plus m’atteindre.
Florent ─ Non, Thérèse, tu te débats, mais tu ne m’as pas échappé.
Thérèse ─ Si, maintenant que je suis au désespoir, je t’ai échappé, Florent. Je viens d’entrer dans un royaume où tu n’es jamais venu, où tu ne saurais pas me suivre pour me reprendre. Parce que tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir mal et de s’enfoncer. Tu ne sais pas ce que c’est que de se noyer, se salir, se vautrer… Tu ne sais rien d’humain, Florent… (Elle le regarde.) Ces rides, quelles peines les ont donc tracées ? Tu n’as jamais eu une vraie douleur, une douleur honteuse comme un mal qui suppure… Tu n’as jamais haï personne, cela se voit à tes yeux, même ceux qui t’ont fait du mal.
Florent, calme et lumineux encore. ─ Non, Thérèse. Mais je ne désespère pas. Je compte bien t’apprendre un jour à ne plus savoir haïr, toi non plus.
Thérèse ─ Comme tu es sûr toi !
Florent ─ Oui, je suis sûr de moi et sûr de ton bonheur que je ferai, que tu le veuilles ou non.
Thérèse ─ Comme tu es fort !
Florent ─ Oui, je suis fort.
Thérèse ─ Tu n’as jamais été laid, ni honteux, ni pauvre… Moi, j’ai fait de longs détours parce qu’il fallait que je descende des marches et que j’avais des bas troués aux genoux. J’ai fait des commissions pour les autres et j’étais grande et disais merci et je riais, mais j’avais honte quand on me donnait des sous. Tu n’as jamais été en commission, toi, tu n’as jamais cassé le litre et pas osé remonter dans l’escalier.
Tarde ─ Tu as bien besoin de raconter toutes ces histoires, par exemple !...
Thérèse ─ Oui, papa, j’en ai besoin.
Florent ─ Je n’ai jamais été pauvre, non Thérèse, mais ce n’est pas ma faute.