L'extrait choisi est situé à la fin de la deuxième partie, dont la fonction est de résoudre l'énigme de la provenance du tableau maléfique dont on voit les effets dans la première partie. Ce passage apparaît au premier abord marginal dans le récit, il ne contribue pas au développement du sujet. Il est cependant important à un autre niveau de la narration : il s'inscrit dans le cadre des réflexions sur l'art qui viennent à plusieurs reprises s'intercaler dans le cours du récit. De plus, comme il s'agit d'un monologue placé dans la bouche d'un personnage dont l'autorité est incontestable - un grand artiste et un grand ascète, presque un saint - il acquiert une valeur particulière : il sert de conclusion à ce motif et apporte une réponse présentée comme définitive à la question cruciale de la nature de l'art, formulée à plusieurs reprises dans Le Portrait.

1 - L'art et la représentation du réel
Selon cet artiste, devenu moine et peintre d'icône, l'art doit s'approcher du réel (" scrute, étudie tout ce que tu verras "), mais ne pas se limiter à lui. Il s'agit d'aller au delà des apparences pour trouver " le secret de la création ". Ce secret ne peut-être que de nature divine, et il ne se dévoile qu'à l'artiste qui en est digne par ses qualités morales et spirituelles, à celui qui est doté d'une " belle âme ". Cette conception disqualifie les deux démarches artistiques présentées dans Le Portrait : Tchartkov s'éloigne du réel par négligence, sans daigner suffisamment l'étudier. Pour complaire aux exigences de sa nombreuse et fortunée clientèle, il prostitue son art en se livrant à une idéalisation facile. Quant à l'auteur du portrait maléfique, il pèche par excès inverse : " J'ai pourtant devant moi la nature ", raisonne Tchartkov devant le tableau. " Son imitation servile est-elle donc un crime, résonne-t-elle comme un cri discordant ? " (p. 105) La bonne attitude est celle du peintre russe émigré en Italie (en qui il n'est pas difficile de reconnaître le peintre