Commentaire composé, essais, montaigne
S’il est beaucoup question de jugement et de fortune dans l’œuvre de Montaigne, c’est que justement ces notions, et le débat qui les entoure à son époque, interrogent le moraliste. Le jugement et la fortune sont, dans les Essais, le lieu d’une réflexion et d’une mise en problème, bien plus que d’une solution de l’un à l’autre. La première impulsion de la réflexion vient sans doute du contexte social et politique de guerre de religion dans lequel Montaigne aborde la question. De ce fait la thématique militaire, qui constitue ici le moule de l’argumentation, reflète l’équivocité des actions entreprises à des fins pourtant simples : la victoire. Le titre, « De l’incertitude de notre jugement », révèle d’emblée l’issue du discours montaigniste : l’impossibilité, pour l’homme, de connaitre, de prévoir. En effet, dans ce début du chapitre 47 des Essais, Livre I, il s’agit pour lui de remettre en cause toute connaissance qui se veut absolue dans le cadre d’un scepticisme positif en lui assujettissant le concept de fortune qui signifie tantôt chance, tantôt malchance, toujours avec un caractère fortuit. Pour Montaigne, seule compte une sagesse pratique, seule importe une vertu réalisée. En cela, il suit bien le mouvement humaniste qui tend à faire prévaloir l’autonomie de la sphère morale sur la sphère théorétique, mais sans faire face à la charge du hasard. A quel point, donc, le texte, et plus généralement l’écriture de Montaigne, peut être considéré comme une délibération perpétuelle et un déploiement d’une prudence repensée et fondée sur le hasard. Il s’agit donc de voir tout d’abord les différentes manifestations de cette « incertitude de notre jugement » et de cet éclatement de l’esprit, ensuite on essayera d’examiner l’image de l’homme faible et écrasé dans le texte, à mette en question même la notion de raison. On verra comment la fortuité du jugement humain fonde le concept même de prudence et permet à Montaigne une subversion ironique de cette