Camus
Achevé en mai 1940 et publié en même temps que Le mythe de Sisyphe en 1942, L’Etranger est en partie la traduction romanesque des idées contenues dans cet Essai sur l’absurde. Le narrateur, Meursault, représente « l’homme avant la pris de conscience de l’absurde », mais déjà préparé à cet éveil lucide : sans illusion sur les valeurs consacrées, il se comporte « comme si la vie n’avait pas de sens ». L’effet produit sur le lecteur par une telle narration, objective et déprimante , est cet écœurement qui selon Camus , est une bonne chose, car il nous conduit au sentiment de l’absurde. Incipit du roman , cet extrait livre sans préambule au lecteur, à travers un récit à la première personne , les réactions d’un homme confronté à la mort de sa mère . Pour le comprendre et le connaître , le lecteur n’a en main qu’une pièce du dossier : le texte qu’écrit le personnage . Aussi, aux questions qu’il se pose sur cet homme, le lecteur doit s’efforcer de répondre sans précipitation . L’attitude déconcertante de Meursault ne doit pas , en effet, occulter la complexité extrême du personnage et l’étrangeté de son rapport avec le langage.
L’attitude du narrateur face au décès de sa mère a largement de quoi dérouter le lecteur dans cette première page. Ainsi, le récit de l’annonce de la mort de sa mère et des quelques heures qui suivent laissent apparaître des réactions bien étranges du personnage. Ses habitudes ne varient pas : il se rend tout naturellement « au restaurant , chez Céleste » ; il s’endort dans l’autobus qui le conduit à Marengo : « je me suis assoupi » ; « j’ai dormi pendant tout le trajet ». Dès la réception du télégramme, il donne l’impression d’aborder l’existence d’une curieuse manière . On s’étonne de le voir affirmer : « Cela ne veut rien dire « face à un message au contenu tant irréversible que dramatique : « Mère décédée. De même , la place respective