Bergson "la conscience et la vie"
305 mots
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« Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseignerlà-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par lanature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain,qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y ajoie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. […] Prenez des joies exceptionnelles, celle de l’artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ouinventé. Vous entendrez dire que ces hommes travaillent pour la gloire et qu’ils tirent leurs joies les plus vives de l’admiration qu’ils inspirent. Erreur profonde ! On tient à l’éloge et aux honneursdans l’exacte mesure où l’on n’est pas sûr d’avoir réussi. […] Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas supposer que la vie humaine a sa raison d'êtredans une création qui peut, a la différence de celle de l'artiste et du savant, se poursuivre a tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l'agrandissement de la personnalité par uneffort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse a ce qu'il y avait de richesse dans le monde ? »
Bergson, « La conscience et la vie