Ali est joli
Ce soir-là, le policier André Brunel est le narrateur dînent chez leur vieil ami le docteur Bougon. Vers minuit, celui-ci reçoit un mystérieux coup de téléphone avertissant qu’un homme vient de se blesser dans une maison non loin de là et que la porte d’entrée sera ouverte. Sans attendre, ils décident d’aller voir. Tandis que Brunel se précipitait, je demeurai quelques secondes sur le seuil de la pièce, frappé de stupeur devant le spectacle qui s’offrait à mes yeux. Dans un lit dont le docteur achevait de relever les couvertures, un homme au visage livide gémissait. La chemise du malheureux ainsi que ses draps étaient couverts de sang. André Brunel se pencha un instant sur le blessé, puis quitta la chambre en courant. Moins d’une minute après, il était de retour. « Evidemment, le coupable ne nous a pas attendus… alors docteur ?
Coup de couteau sans aucun doute. » Sur la demande du docteur Bougon, je partis à la recherche de la cuisine où je fis bouillir une casserolée d’eau, puis bien je vite je vins retrouver mes compagnons. « Dire que nous avons peut-être croisé le criminel en venant, s’écriait Brunel
Cela m’étonnerait, dis-je. Le blessé n’a pas pu téléphoner qu’après son départ, par conséquent…
Tu crois que c’est ce malheureux qui a appelé le docteur ? »
Et, comme surpris, je ne répondais pas.
« L’appareil est dans le salon. Jamais ce pauvre diable n’aurait eu la force d’aller téléphoner et de revenir ensuite se coucher… et puis, il n’y a pas une goutte de sang par terre. Pour que tu aies raison, il faudrait admettre que cet homme ait demandé du secours avant d’être frappé, et qu’il ait ensuite gentiment tendu le dos.
Alors, bon sang, qui a téléphoné ?
Ah ! je donnerais gros pour le savoir. »
Pierre BOILEAU, Les Trois clochards, Hachette Livre/ Deux coqs d’or, 1995.