L ENSORCELEE
Roman de Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889), publié à Paris en feuilleton sous le titre «la Messe de l’abbé de La Croix-Jugan» dans l’Assemblée nationale du 7 janvier au 11 février 1852, et en volume sous son titre définitif chez Cadot en 1855.
Dès 1849-1850, Barbey d’Aurevilly conçoit le projet d’écrire une série de romans qui seraient regroupés sous le titre global d’Ouest: «Après l’Ensorcelée, [l’auteur] publiera le Chevalier des Touches, Un gentilhomme de grand chemin, Une tragédie à Vaubadon, etc.» (Préface de la seconde édition de l’Ensorcelée, 1858). L’entreprise se bornera aux deux premiers ouvrages prévus et le titre Ouest ne verra jamais le jour. Elle répond à deux objectifs explicites: l’un géographique — «Je tiens [...] surtout à faire œuvre normande» (lettre à Trébutien, décembre 1849) —, l’autre historique — «L’Histoire, en effet, manque aux chouans» (Préface de la seconde édition de l’Ensorcelée). Barbey se fait en outre le chantre de la cause royaliste et ne dissimule pas son engagement, comparant par exemple en 1850, dans la Mode, son travail d’écrivain à une «action militaire».
Résumé
Le narrateur, que Barbey s’emploie, afin d’accréditer le caractère véridique de la fiction romanesque, à dessiner à son image, entreprend la traversée nocturne de la lande de Lessay, située dans la presqu’île du Cotentin et «théâtre des plus singulières apparitions», en compagnie d’un herbager normand nommé maître Tainnebouy (chap. 1). La «sinistre clameur» d’une cloche retentit soudain dans la nuit. Il s’agit, selon Tainnebouy, de «la messe de l’abbé de La Croix-Jugan» dont il relate l’histoire à la demande du narrateur (2). Après un suicide manqué — à la suite de la défaite de la chouannerie — et une atroce mutilation infligée par les Bleus, l’abbé de La Croix-Jugan est monstrueusement défiguré (3). Retiré à Blanchelande en attendant d’être officiellement absous par l’Église, il inspire une violente passion — ou bien s’agit-il d’un sort jeté