L'instrumentalisation de la peur
Foncièrement dissemblable de toute autre espèce animale, l’homo sapiens a radicalement modifié le visage de la planète depuis son apparition, il y a de cela plus de six millions d’années. Son emprise est telle qu’aujourd’hui on assiste à l’ère du genre humain, période caractérisée par le contrôle le plus complet de l’homme sur l’environnement. L’ampleur de sa domination relève en grande partie de la spécificité humaine, la raison, dotant ainsi l’homme de la parole et, par extension, d’une capacité technique qui rend moins décisif le recours à ses instincts. Toutefois, il s’agit là d’une affirmation quelque peu présomptueuse puisque la grandeur de l’entendement humain, bien qu’elle supplante la force des comportements primitifs, ne se dissocie jamais entièrement des pulsions. De fait, l’affectivité humaine continue de jouer un rôle prépondérant dans nos relations interpersonnelles et exerce une influence qui, loin d’être négligeable, mérite une attention toute particulière. L’une des conséquences tragiques de cette faiblesse, en effet, est sa mise à profit, au XX e siècle notamment, par les « régimes de la peur ». Seulement, tant et aussi longtemps que les individus n’auront acquis une pleine conscience de l’influence la nature ambivalente et presque imperceptiblement manipulée par les affects sur leur moindre fait et geste, ils demeureront un objet d’une étonnante maniabilité et ne seront jamais totalement libres. Dans cette optique, il convient de se questionner soi-même : quand la peur nous prend, que nous prend-elle? Pour bien répondre à cette question et saisir les enjeux qu’elle présuppose, nous nous pencherons sur le sentiment de peur et ses effets sur la société. Il conviendra de l’expliciter davantage afin de rendre compte des nombreuses interprétations possibles. Nous nous intéresserons ici à la