L'histoire d'un foulard blanc à pois noirs et d'un violoncelle
Je devrais rajouter encore une touche de blanc au visage de la femme, pour rappeler d’avantage la couleur de son foulard à pois noirs. Bien. Maintenant je crois que c’est bon. Ses cheveux dressés sur la tête, étouffés par la nuit, elle me fixait avec ses yeux globuleux et effrayants. Ce soir elle reviendrait de nouveau me visiter, comme toutes les nuits de chaque hiver depuis sa mort. C’était il y a cinq ans exactement. Par une nuit glaciale, on vînt frapper à ma porte, aux alentours de vingt-trois heures. J’ouvris, et une dame, au teint plus pâle que l’épaisse couche de neige qui s’était formée dehors, empoigna mon veston et me supplia de l’aider et de l’héberger. Elle portait un élégant foulard blanc à pois noirs ; ses mains, longues, fines, mais tortueuses, étaient souillées de sang ; elle me tâcha. Non mais, pour qui elle se prenait celle-ci, et surtout pour qui elle me prenait ! Je ne dirige ni un hôtel, ni un hôpital ! Je la poussai violemment en arrière et claquai ma porte. Le lendemain, au pied de mon immeuble, je retrouvai son cadavre, accompagné d’un archet. Un oiseau pataugeait dans le sang. Il ne faisait aucun doute que son agresseur s’était servi de cet archet pour lui trancher la gorge et le sang faisait luire les crins. Je dénouai le foulard du cou de la défunte et le glissai dans une poche de mon long manteau noir. C’était déjà ça de gagné ! Je regardai l’oiseau s’effacer petit à petit dans le ciel puis, je pris la route de mon travail. C’est depuis ce jour, que je reçois toutes les nuits, l’hiver durant, la visite de son spectre dans mes songes. C’est durant ces périodes-là que je descends au petit bistrot du bout de ma rue, le Bar d’Olga, et que je noie ma détestable existence dans l’alcool. Je me suis également mis à la peinture ; et mon triste appartement est désormais orné de dizaines de portraits de la femme au foulard blanc à pois noirs. Cela lui donne le côté lugubre