L'assommoir - zola
À droite, on entendait la rue de Dunkerque s'animer peu à peu. Un jeune homme affairé en déboucha soudain, pour s'empresser, visiblement, de regagner une des boucheries du boulevard de Rochechouart. On aurait dit que, tout d'un coup, l'ombre avait accouché d'un être. Lantier resta quelques instants à contempler les passants qui apparaissaient et disparaissaient comme par magie, en sortant et en s'enfonçant dans la rue de Dunkerque. Mais la lumière se faisait de plus en plus claire : bientôt, le charme fut rompu. À présent, s'offrait devant lui le spectacle enivrant d'une rue qui s'éveillait doucement à l'activité et à l'agitation matinales.
Lantier se décida à poursuivre sa route. Pour une fois, au lieu de regarder par terre en marchant, il se força à considérer ce qui se passait autour de lui, à lever les yeux vers les immeubles qui l'entouraient. Les façades se coloraient d'une teinte chaude, presque chatoyante, et les balcons parfois ornés de fleurs offraient des contrastes de lumière saisissants. Du troisième étage, une femme regardait la foule s'ébattre en contrebas. Un vent frais vint lui caresser le visage et fit voleter sa chevelure légèrement décoiffée. Lantier aurait voulu la saluer, mais comment aurait-elle pu le voir, au beau milieu de la foule affairée de Paris ? Et puis à quoi bon, au fond ?
Lantier reprit paisiblement sa route et vit que le vent avait formé des tourbillons de poussière, qui montaient, se précipitaient en cascade sur le sol, pour mieux rebondir et courir sur tout le boulevard. Cela l'entraînait : il accéléra légèrement le