L'art répond-il au besoin?
Parmi tous les objets du produire humain qui constituent notre monde, nous en distinguons certains, que nous nommons « œuvres d'art ». Alors que les objets se définissent tous par leur finalité, les œuvres d'art, quant à elles, semblent n'avoir aucune fonction assignable : si un marteau sert à enfoncer des clous, on ne peut rien faire d'un tableau, sinon le contempler. L'art de l'artiste se distingue donc de l'art de l'artisan, car ce que l'artiste produit paraît ne pouvoir servir à rien : aussi avons-nous tous tendance à faire des beaux-arts une activité sans sérieux réel, destinée dans le meilleur des cas à procurer une jouissance esthétique dont nous pourrions fort bien nous passer. L'art serait en somme un loisir inutile, une distraction de bien portant, un passe-temps de grand seigneur : lorsque la question de sa simple survie ne se pose plus, quand son confort même est assuré, l'homme pourrait se payer le luxe de produire pour rien – entendons par là : de produire des objets ne répondant à aucune nécessité vitale, et n'ayant aucune fonction réelle.
Et pourtant : déjà chez l'homme de Néandertal, la production de certains objets témoigne d'une recherche de symétrie inutile à leur usage, voire en contradiction avec lui. Tout se passe comme si alors, dès avant l'aube de l'humanité moderne, on avait eu besoin de doter les objets fabriqués d'une valeur esthétique, quand bien même cette dernière ne devait servir à rien ou même gêner le service. Alors, l'art répond-il à un besoin ? Si tel n'était pas le cas, comment expliquer la constance avec laquelle l'homme, dès ses origines, a fabriqué des objets n'ayant aucune utilité immédiate, ou s'est soucié de l'apparence des objets utilitaires qu'il fabriquait ? Mais d'un autre côté, il est évident que ce besoin n'a rien à voir avec une nécessité vitale : contrairement au reste des objets que nous produisons, les œuvres d'art ne sont pas au service de la survie, elles ne rendent nos existences ni plus