L'ardeur du poème
Jean-Baptiste PARA et André VELTER
Partout, en tous pays et dans toutes les langues, des poèmes s'improvisent, se composent, se disent ou s'écrivent. Ces chants, ces invocations, ces exorcismes, ces textes sacrés ou profanes, ces cris de révolte, ces blasphèmes, ces jeux, ces litanies d'amour, ces déplorations, ces visions lumineuses ou sombres, qu'on les nomme ou non poèmes, participent d'un même élan, d'une même ardeur. Avoir recours à la parole et aux mots pour créer un alliage de sens et de sons qui excède les limites du langage ordinaire, et par là les interdits et les normes, voilà qui semble une pratique commune sans rien jamais de commun, puisqu'il s'agit d'expériences exceptionnelles ou banales, mais transmuées en créations singulières. Qu'est-ce donc que cette activité qui ne se connaît pas de frontières alors qu'elle requiert une multitude de passeurs ? Qu'est-ce donc que la poésie ? Quelle est sa spécificité dans le champ de la littérature et des arts ? Pourquoi son importance capitale dans l'histoire des civilisations est-elle sans commune mesure avec son audience immédiate ? Quel est son rôle et quel est son défi dans le monde d'aujourd'hui ? Qu'y a-t-il en elle de résistance et de promesse ? Comment les poètes conçoivent-ils la poésie ? Qu'ont-ils à nous dire de leur expérience et de leur pratique personnelles ? C'est un riche faisceau de questions qui est à l'origine de ce numéro d'Europe. Nous avons voulu mener cette exploration en donnant la parole à des poètes du monde entier, persuadés qu'on respire mieux et plus intensément au grand large que confiné dans son pré carré. Dans A Defence of Poetry, en 1821, méditant sur le destin de la poésie, Shelley rappelait qu'elle était née en même temps que l'homme et redoutait un âge où sa voix ne se ferait plus entendre que comme les pas d'Astrée quittant le monde. Pourtant, disait-il, " la culture de la poésie n'est jamais plus désirable qu'aux époques pendant lesquelles, par suite