L'amour de soi
La première raison de douter est liée à l’existence en chacun de nous de « l’amour de soi », nécessaire à la préservation de la vie. Pour Rousseau, cet amour de soi est une bonne chose, c’est un instinct compatible avec la raison et conforme à l’ordre de la création ; mais il se corrompt vite en égoïsme et l’intérêt particulier prime alors sur l’intérêt général. L’homme est fait pour être « dans le contentement de soi-même », qui représente « la suprême jouissance « (p. 75), donc pour choisir le bien. En effet, pour Rousseau, se préférer est un penchant naturel à l’homme, et l’homme, pour se faire du bien doit être bon : « l’homme ne saurait être sain d’esprit ni bien constitué qu’autant qu’il est bon » (p. 84). Inversement, « celui qui, à force de se concentrer au dedans de lui, vient à bout de n’aimer que lui-même, n’a plus de transports, un cœur glacé ne palpite plus de joie [...] ; le malheureux ne sent plus, ne vit plus ; il est déjà mort » (p. 85). On songe ici à Macbeth, figure du malheur, souhaitant « être avec les morts » plutôt que « couché sur la torture de l’esprit/En furieuse folie », et enviant la paix éternelle de Duncan (III,2, p. 157).
La vertu est pour le Vicaire savoyard « l’amour de l’ordre ». Mais, se dit l’homme, « cet amour peut-il donc et doit-il l’emporter en moi sur celui de mon bien-être?[...] je dis aussi, moi, que le vice est l’amour de l’ordre, pris dans un sens différent. 11 y a quelque ordre moral partout où il y a sentiment et intelligence. La différence est que le bon s’ordonne par rapport au tout et que le méchant ordonne le tout par rapport à lui » (p. 92). La frontière n’est donc pas bien nette entre ces deux formes d’amour de soi, et on comprend que l’homme soit ballotté en permanence : « je veux et je ne veux pas, je me sens à la fois esclave et libre ; je vois le bien, je l’aime, et je fais le mal », (p. 71). Cela dit, selon le Vicaire, il y a forcément une étincelle de bonté en tout homme,