Vichy
l'Essai / Le Syndrome de Vichy 1945-198... par Henry Rousso, 1987
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e fait, l'un et l'autre tournent en France à l'antagonisme. Le devoir de mémoire traduit combien la référence à Vichy peine à s'ancrer dans le cours normal de la mémoire nationale et ses modalités communes de fonctionnement. Ces modalités, l'historien Pierre Nora en a éclairé certaines dans son analyse des lieux de mémoire. À l'origine de la mémoire nationale en France, il y a l'œuvre éminemment idéologique - au sens d'élaboration, propagation et institution d'un système cohérent de valeurs - de la iiie République qui visa à fonder en légitimité dans l'histoire nationale un régime proclamé presque par hasard en 1875. Il en résulta un lien singulier entre l'histoire, la mémoire et la nation : la iiie République fit se confondre un régime et une nation, l'histoire - la vision dite scientifique, laïcisée parce que critique, reconstitution toujours reprise de ce que l'on appelle « le passé » -, et la mémoire - sacralité, vécue au présent perpétuel, de la commémoration de ce que certains (groupes, communautés, corps) veulent, par le constant travail de l'oubli, de la réminiscence ou du transfert, retenir pour inventer une tradition ou forger leur identité. Ce fut le temps exceptionnel où, grâce à la scolarisation et au travail des maîtres, les « hussards noirs de la République », l'histoire scientifique devint le moule de la mémoire collective : elle se voulait l'institutrice de la nation par la rectification, l'approfondissement de cette tradition de mémoire, visant à ce que chaque citoyen, quelles que fussent ses origines familiales, régionales ou confessionnelles, s'identifiât à la République par l'intégration de sa filiation propre au grand récit historique national. L'histoire et la mémoire ne faisant alors qu'un, l'histoire était la mémoire vérifiée. Cette construction s'est délitée