Comment le cinéma peut-il exprimer le vertige et les états subjectifs, et les faire ressentir aux spectateurs ? Séquence clé du film de Hitchcock justement appelé « Vertigo », la scène de la tour est doublement mise en scène : par Hitchcock, bien sûr, mais aussi, dans le film lui-même, par le biais d’un personnage, manipulateur, qui a confié à un de ses amis, Scottie (James Stewart), la mission de surveiller son épouse portée au suicide. Or celle-ci, Madeleine (Kim Novak), feint de se jeter du haut d’un clocher, afin que Scottie soit, du fait de son vertige, incapable de l’en empêcher. Le vertige de Scottie est donc la clé de la scène et, dans la mesure où il épouse le point de vue de Scottie, le spectateur doit ressentir lui aussi son acrophobie. [1] D.R. | | La séquence est presque entièrement construite en champs-contrechamps sur le regard de Scottie : à l’extérieur de la tour, ceux-ci sont horizontaux ; dans la tour, ils seront axés verticalement. Devant l’église, Madeleine se sépare physiquement de Scottie dont elle est pourtant éprise : elle « doit » rentrer seule dans le bâtiment. Levant les yeux vers le hors-champ, elle invite par là même Scottie qu’elle fuit, puis le spectateur, à suivre son regard. Un contrechamp nous dévoile l’objet des deux regards : le clocher [1] ainsi désigné comme l’enjeu de la séquence. Cette contre-plongée signifie, par l’impression forte qu’elle procure, le risque que Madeleine encourt : elle a déjà tenté de se suicider en se jetant de la berge du fleuve. Lors de la poursuite alternent alors les plans rapides de Madeleine et Scottie pénétrant dans l’église, lui toujours en retard sur elle. Le rythme du montage traduit alors exactement l’état frénétique de Scottie, transi d’angoisse à l’idée du danger. Une succession de plans, sur le portail de l’église vers lequel court Scottie [2], sur le chœur illuminé de l’église, sur le baptistère, puis sur la porte qui ouvre sur l’escalier du clocher [3], dirige le mouvement général