Txt Lettre XX 1
« Le portrait de deux libertins ou l’intrigue en filigrane ».
Lettre XX
De la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Ah ! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous ! Allons, je vous fais grâce : vous m’écrivez tant de folies, qu’il faut bien que je vous pardonne la sagesse où vous tient votre Présidente. Je ne crois pas que mon Chevalier eût autant d’indulgence que moi ; il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J’en ai pourtant bien ri, et j’étais
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vraiment fâchée d’être obligée d’en rire toute seule. Si vous eussiez été là, je ne sais où m’aurait menée cette gaieté : mais j’ai eu le temps de la réflexion, et je me suis armée de sévérité. Ce n’est pas que je refuse pour toujours ; mais, je diffère, et j’ai raison. J’y mettrais peut-être de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus où l’on s’arrête. Je serais femme à vous enchaîner de nouveau, à vous faire oublier votre Présidente ; et si j’allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale ! Pour éviter ce danger, voici mes
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conditions.
Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m’en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n’ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d’une part, je deviendrai une récompense au lieu d’être une consolation ; et cette idée me plaît davantage ; et de l’autre, votre succès en sera plus piquant, en devenant lui-même un moyen d’infidélité. Venez
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donc, venez au plus tôt m’apporter le gage de votre triomphe : semblable à nos preux chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leur dame les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de voir ce que peut écrire une prude après un tel moment, et quel voile elle met sur ses actions, après n’en avoir plus laissé sur sa personne.