Tu deviendras toi aussi un nassara Depuis quelques temps, Rombaye nourrit de grands projets pour son fils. Une lettre de l’oncle Hassan, écrite en français précipite sa décision. « Bangui ! Je vais t’inscrire pour la prochaine rentrée scolaire. Quand tu sauras lire et écrire comme Hassan, tu deviendras un ‘’nassara’’, et tu pourras nous aider. » […] Ainsi, il avait décidé que j’irais à l’école ! Je n’en croyais pas mes oreilles ! Et la surprise passée, j’en étais resté tout étourdi d’une joie folle. Le sang me battait aux tempes et, dans un éblouissement, je me voyais déjà en train de lire, puis me tracer ces élégants signes noirs qui ont le pouvoir d’engranger les mots et les idées, les histoires et les évènements. Voilà que j’étais un de ces commis bienheureux qui travaillent dans l’ombre ventilée d’un bureau, ou, suprême honneur, j’avais la chance de d’être ce splendide boy-coton qui se promène derrière les cultivateurs, les mains dans les poches. Mon ardeur visionnaire s’effondra brutalement sous un choc imprévisible. Un cousin, installé à côté de mon père, l’avertissait sur un ton de reproche : « Rombaye ! Tu devrais savoir que les maîtres frappent beaucoup les élèves. Je pense que Bangui est trop jeune pour supporter ça et qu’il n’est pas prudent de l’envoyer à l’école ! - Oui, oui, lui rétorquait papa sans laisser transparaître le moindre émoi, on m’a souvent raconté que le régime est très sévère. Mais Bangui grandit, ce n’est plus un bébé ! Il faut qu’il apprenne à supporter les épreuves. Crois-tu que ce que l’on fait subir aux enfants dans cette école de Bossangoa soit plus dur que notre beul ? Nous sommes tous passés et nous n’en sommes pas morts ! Je vous le dis, moi Rombaye, il faut que l’un d’entre nous se fasse ‘’nassara’’, et se sera Bangui ! Il aura bientôt neuf ans ! » Les dernières paroles de mon père éveillèrent en moi un secret orgueil. Il avait raison ! Quelques coups ne m’effrayeraient pas ! […] Mais le cousin