Traité théologico-politique de spinoza
309 mots
2 pages
Si les hommes pouvaient diriger toutes leurs propres affaires suivant un projet assuré, ou si la chance leur souriait toujours, ils ne seraient en proie à aucune superstition. Mais, réduits souvent à une situation tellement extrême qu'ils ne sont pas en état de mettre sur pied aucun projet, et, la plupart du temps, condamnés par leur désir immodéré des biens incertains du sort, à flotter misérablement entre l'espoir et la crainte, ils ont l'esprit très enclin à croire en général n'importe quoi. Celui qui est alors dans le doute est poussé ici et là par la moindre impulsion, d'autant plus facilement qu'il est suspendu entre l'espoir et la crainte. À d'autres moments, quand il est trop assuré, il est plein de vantardise et d'orgueil. Cela, j'estime que personne ne l'ignore, quoique la plupart s'ignorent eux-mêmes : personne, en effet, n'a vécu parmi les hommes sans voir que la plupart, lorsqu'ils ont, bien qu'inexpérimentés, des affaires florissantes se comportent avec une telle sagesse qu'ils croient qu'on leur fait injure si l'on veut leur donner un conseil ; mais, lorsqu'ils sont dans l'adversité, ils ne savent où se tourner, et demandent en suppliant conseil à tout un chacun ; il n'y a pas d'avis si inepte, si absurde ou si vain qu'ils ne suivent. En outre, même les plus légers motifs leur sont prétexte à espérer une amélioration, ou, au contraire, à craindre le pire ; si en effet, pendant qu'ils sont plongés dans la crainte, quelque incident arrive qui leur rappelle un souvenir passé bon ou mauvais, ils pensent que cet incident leur annonce une fin heureuse ou malheureuse ; et par là, bien que cent fois c'eût été un mirage, ils l'appellent présage heureux ou