On trouvait, dans le répertoire des trouvères, des actions d’un ordre familier dont te but était de délasser la foule ; ces fictions étaient souvent une satire de la vie ordinaire de la noblesse et du clergé. Tel est Le Roman de Renart. C’est comme une vaste comédie où des poètes, pour la plupart inconnus, sont venus jeter, chacun à son tour, l’amertume, la colère et l’ironie que le spectacle des vices des hommes et des misères de leur temps avait amassées au fond de leur âme. Les acteurs sont tous pris parmi les animaux. Tous ceux qui figurent dans ce poème appartiennent aux espèces les plus connues. Le loup se nomme Isangrin, parce qu’il a la peau grisâtre, le hon Noble, le coq Chanteclair, le limaçon Tardif, etc. Quant à l’homme, il ne paraît que de loin en loin, toujours sur le second plan et dans la condition la plus avilie du moyen âge, celle de vilain. Chaque scène de ce monde imaginaire correspond aux scènes qui se produisent tous les jours dans la vie, et jamais la satire n’a entassé dans la même œuvre plus d’esprit, de verve audacieuse, d’imagination vagabonde, de cynisme et de critique impitoyables. On se fera une idée du poème par l’épisode suivant où le héros du roman, Renart, se montre peut-être mieux que partout ailleurs sous son véritable aspect, c’est-à-dire comme un être rusé, hypocrite et méchant, qui ne respecte rien et ce cherche qu’à faire des dupes. « Un prêtre passe dans la campagne, il perd une botte d’oublies (hosties consacrées) ; Renart trouve la boite et tandis qu’il est en route à manger les oublies, Primaut vient à passer.
— Que mangez-vous donc là, sire Renart ?
— Des gâteaux de moines !
— Donnez-m’en quelques-uns.
— Volontiers, dit Renart, et voilà Primaut qui vide la boite en un clin d’œil.
— Ces gâteaux de moines sont excellents, dit-il, mais ils sont trop légers j’en mangerais encore bien quelques douzaines.
— Ne t’inquiètes pas, mon ami, je puis t’obtenir quelque chose de plus nourrissant. Si tu veux me suivre,