Tante italie
Ils sont toujours là ! Je le sais. Je les sens…Chaque fois que je voyage entre Arezzo et Terontola ; chaque fois que je circule sur la "stradale" où les automobilistes inciviques collent à mes pare-chocs parce que je ne roule pas assez vite à leur gré… Chaque fois que je suis en Toscane, je sais qu'ils sont là, tout autour de moi…Tels des fantômes actifs !
Je pense, en particulier, à mon arrière grand père : Beniamino Cappelletti (tutto doppio : p, l, t…) et je lui demande pourquoi il est parti. En vérité, je me demande pourquoi il est parti ; pourquoi son regard n'a plus voulut embrasser le panorama depuis les fortifications de Cortona ; pourquoi s'est-il privé de flâner sur la place d'Arezzo ; pourquoi a-t-il renoncé au palio de Castiglion Fiorentino ( et d'ailleurs quelle couleur portait-il : celle de Porta Romana, Porta Fiorentina, Cassaro ? ) Pourquoi a-t-il tiré un trait sur tout cela ?
Je suis conscient que je n'en saurais jamais rien. Plus personne à Castiglion Fiorentino ou à Montecchio n'a connu Beniamino… Physiquement. Certes, il en reste encore qui ont entendu parler de lui. Plus se souviennent de ma grand-mère, Herminia (la mi nonna, comme disent les Toscans !) Enfin quand je dis plus, il ne faut rien exagérer… Ici, en Toscane, le temps qui passe s'est chargé de nettoyer les consciences de leurs souvenirs, alors qu'à Marseille, les immigrés italiens n'aimaient pas parler d'eux ; encore moins d'où ils venaient et encore moins pourquoi ils étaient partis… Tout ce que je sais de Beniamino est qu'il était "fattore" ; ( ça je le tiens de la bouche de ma grand-mère). Une autre fois, j'ai entendu dire qu'il avait immigré à cause d'une dette de jeu. Mais cela me semble tout de même un souvenir par trop héroïsé.
Voilà pourquoi que je roule si lentement sur la "stradale" parce que j'avance dans l'opacité d'une mémoire fragile et le nom de mes ancêtres surviennent comme des fragments de paroles provenant d'une matrice sonore détériorée