Supplément au voyage de bougainville
Supplément au voyage de Bougainville, écrit en 1772 par Diderot, est conçu comme un dialogue entre deux personnages à propos de Voyages autour du monde, le journal de bord du navigateur français Louis Antoine de Bougainville. Cet extrait est tiré du chapitre 2 : il met en scène le départ des Européens de Tahiti et constitue un violent réquisitoire contre la colonisation et la civilisation européenne. Le philosophe des Lumières, à travers la parole d'un vieillard, oppose les qualités des Tahitiens aux défauts de la culture blanche dans un discours d'une grande force oratoire. Pour chercher quels sont les objectifs de ce texte et quels moyens utilise Diderot, j'ai choisi deux plans principaux : les méfaits de la colonisation d'un côté, et l'éloge de la vie tahitienne de l'autre.
La première impression de lecture annonce déjà une critique des Européens. Dès le début de l'extrait, le vieillard cadre le destinataire avec l'apostrophe « Et toi, chef des brigands » ( l18 ), qui introduit les notions de supériorité avec « chef » et d'attitude avec « brigands ». Pendant toute la suite de l'extrait, il emploie le pronom « tu », pour désigner Bougainville, par opposition à « nous », qui fait référence aux Tahitiens. Cette opposition sert de fil directeur au texte, qui est axé sur une comparaison, depuis le point de vue du vieil homme.
Ce dernier enchaîne ensuite sur l'immoralité des colons en utilisant des champs lexicaux particuliers, comme celui de la cruauté, de la force : « enchaîné » ( l11 ), « égorger » ( l12 ) ou celui de la violence : « fureurs inconnues » ( l24 ), « folles » ( l24 ), « féroces » ( l24 ), « teintes de sang » ( l26 ). Pour accentuer l'effet, toujours dans l'idée d'opposition, Diderot écrit sous forme de chiasme : « Elles sont devenues folles entre tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs » ( l24 ), où une certaine symétrie se met en place : les rôles sont inversés entre les Européens et les Tahitiens, comme à la