Spécialité ses
Le développement de la société démocratique et l'égalisation des conditions
Document :
Si, dans les siècles d'égalité, les hommes perçoivent aisément l'idée d'un grand pouvoir central, on ne saurait douter, d'autre part, que leurs habitudes et leurs sentiments ne les prédisposent à reconnaître un pareil pouvoir et à lui prêter la main ; la démonstration de ceci peut être faite en peu de mots, la plupart des raisons ayant été déjà données ailleurs.
Les hommes qui habitent les pays démocratiques n'ayant ni supérieurs, ni inférieurs, ni associés habituels et nécessaires, se replient volontiers sur eux-mêmes et se considèrent isolément. J'ai eu l'occasion de le montrer fort au long quand il s'est agi de l'individualisme.
Ce n'est donc jamais avec effort que ces hommes s'arrachent à leurs affaires communes ; leur pente naturelle est d'en abandonner le soin au seul représentant visible et permanent des intérêts collectifs, qui est l'Etat.
Non seulement ils n'ont pas naturellement le goût de s'occuper du public, mais souvent le temps leur manque pour le faire. La vie privée est si active dans les temps démocratiques, si agitée, si remplie de désir, de travaux, qu'il ne reste presque plus d'énergie ni de loisir à chaque homme pour la vie politique.
Que de pareils penchants ne soient pas invincibles, ce n'est pas moi qui le nierai, puisque mon but principal en écrivant ce livre a été de les combattre. Je soutiens seulement que, de nos jours, une force secrète les développe sans cesse dans le cœur humain, et qu'il suffit de ne point les arrêter pour qu'ils les remplissent.
J'ai également eu l'occasion de montrer comment l'amour croissant du bien-être et la nature mobile de la propriété faisaient redouter aux peuples démocratiques le désordre matériel. L'amour de la tranquillité publique est souvent la seule passion politique que conservent ces peuples, et elle devient chez eux plus active et plus puissante, à mesure que toutes les