Solitude
Un peu à l’écart du mouvement, je m’entretenais avec un ami, sur le pont-promenade, lorsque deux ou trois éclairs jaillirent tout près de nous – apparemment, un personnage de marque que les reporters interviewaient et photographiaient encore, juste avant le départ. Mon compagnon regarda dans cette direction et sourit : « Vous avez à bord un oiseau rare : Czentovic. »
Et, comme je n’avais pas vraiment l’air de comprendre ce qu’il voulait dire, il ajouta en guise d’explication : « Mirko Czentovic, le champion mondial des échecs. Il a traversé les États-Unis d’est en ouest, sortant vainqueur de tous les tournois, et maintenant il s’en va cueillir de nouveaux lauriers en Argentine. »
Je me souvins alors de ce jeune champion et de quelques particularités de sa fulgurante carrière. Mon ami, qui lisait les journaux mieux que moi, compléta mes souvenirs d’une quantité d’anecdotes. Il y avait environ un an, Czentovic était devenu tout d’un coup l’égal des maîtres les plus célèbres de l’échiquier, comme
Aljechin, Capablanca, Tartakower, Lasker ou Bogoljubow. Depuis qu’en 1922, Rzecewski, le jeune prodige de sept ans, s’était distingué au tournoi de New York, on n’avait vu personne d’aussi obscur attirer avec autant d’éclat l’attention du monde sur l’illustre confrérie des joueurs d’échecs. Car les facultés intellectuelles de Czentovic n’eussent permis en aucune façon de lui prédire un brillant avenir. D’abord tenu secret, le bruit courut bientôt que ce champion était