Soldat
Victor Hugo
[…] Contre toute l’Europe avec ses capitaines, Avec ses fantassins, couvrant au loin les plaines, Avec ses cavaliers, Tout entière debout comme une hydre vivante. Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante Et les pieds sans souliers ! Au levant, au couchant, partout, au sud, au pôle, Avec de vieux fusils sonnant sur leur épaule, Passant torrents et monts, Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres, Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres, Ainsi que des démons ! La liberté sublime emplissait leurs pensées. Flottes prises d’assaut, frontières effacées Sous leur pas souverain, Ô France, tous les jours c’était quelque prodige, Chocs, rencontres, combats ; et Joubert sur l’Adige, Et Marceau sur le Rhin ! On battait l’avant-garde, on culbutait le centre ; Dans la pluie et la neige et de l’eau jusqu’au ventre On allait ! En avant ! Et l’un offrait la paix et l’autre ouvrait ses portes, Et les trônes roulant comme des feuilles mortes, Se dispersaient au vent !
[…] La Révolution leur criait : - Volontaires, Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! – Contents, ils disaient oui. - Allez mes vieux soldats, mes généraux imberbes ! Et l’on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes Sur le monde ébloui ! La tristesse et la peur leur étaient inconnues, Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues, Si ces audacieux, En retournant les yeux dans leur course olympique Avaient vu derrière eux la grande République Montrant du doigt les cieux.
In Les Châtiments