Si c'est un homme
Poème liminaire : « Si c’est un homme »
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui ou pour un non.
Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces paroles dans votre cœur,
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants,[2]
Ou que votre maison s'écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
1947, Primo Levi
Introduction :
Poème écrit par Primo Lévi le 10 janvier 1946, placé en tête du livre, comme épigraphe (citation mise en tête de livre ou de chapitre pour en indiquer l’esprit).
Parmi les 14 poèmes écrits en 1946, Lévi garde celui-ci et le place en tête de son récit : ce poème d’abord intitulé « si c’est un homme » donnera le titre du livre puis le poème changera de nom : shemà
Shemà signifie en hébreux « écoute » et est le premier mot d’une prière juive importante : « écoute, Israël (shemà, Israël)
Ainsi, Primo Lévi place son œuvre dans un double perspectif : une perspective juive, mais surtout comme Moïse, dans un devoir de mémoire : ne pas oublier cette époque. Enfin, il la place dans une perspective pédagogique : faire apprendre aux générations futures ce que furent ces horreurs afin de ne pas les oublier et de ne pas les renouveler.
Ainsi, ce poème se présente comme une préface dans laquelle l’auteur livre ses intentions et indique en partie comment lire son récit.
I) Presentation de l’œuvre
La forme du texte
Dés le premier vers, l’auteur veut attirer l’attention de son lecteur par