Ainsi n’y a-t-il pas d’accidents dans une vie; un événement social qui éclate soudain et m’entraîne ne vient pas du dehors; si je suis mobilisé dans une guerre, cette guerre est ma guerre, elle est à mon image et je la mérite. Je la mérite d’abord parce que je pouvais toujours m’y soustraire, par le suicide ou la désertion ces possibles ultimes sont ceux qui doivent toujours nous être présents lorsqu’il s’agit d’envisager une situation. Faute de m’y être soustrait, je l’ai choisie; ce peut être par veulerie, par lâcheté devant l’opinion publique, parce que je préfère certaines valeurs à celle du refus même de faire la guerre (l’estime de mes proches, l’honneur de ma famille, etc.). De toute façon, il s’agit d’un choix. Ce choix sera réitéré par la suite d’une façon continue jusqu’à la fin de la guerre; il faut donc souscrire au mot de J. Romains « A la guerre, il n’y a pas de victimes innocentes. » Si donc j’ai préféré la guerre à la mort ou au déshonneur, tout se passe comme si je portais l’entière responsabilité de cette guerre. Sans doute, d’autres l’ont déclarée et l’on serait tenté, peut-être, de me considérer comme simple complice. Mais cette notion de complicité n’a qu’un sens juridique; ici, elle ne tient pas; car il a dépendu de moi que pour moi et par moi cette guerre n’existe pas et j’ai décidé qu’elle existe. Il n’y a eu aucune contrainte, car la contrainte ne saurait avoir aucune prise sur une liberté; je n’ai eu aucune excuse, car, ainsi que nous l’avons dit et répété dans ce livre, le propre de la réalité-humaine, c’est qu’elle est sans excuse.
Explication de ce texte
Il faut toujours vouloir ce que l’on fait, et faire ce que l’on veut. Certains voudront voir dans la guerre qui fait irruption dans leur vie une atteinte définitive à leur liberté. Or paradoxalement, pour reprendre la formule de Sartre dans la République du silence, je n’ai jamais été aussi libre que dans la guerre. Elle me permet d’affirmer ma liberté, il y a urgence à se