récit du dernier jour d'un condamner
Exécution capitale de Djandoubi, sujet tunisien
Réaction de révolte, mais je ne peux pas m'y soustraire. Je suis habitée par cette pensée toute l'après-midi. Mon rôle consisterait, éventuellement, à recevoir les déclarations du condamné. Je me prépare. Une voiture de police vient me chercher à 4 heures et quart. Pendant le trajet, nous ne prononçons pas un mot. Arrivée aux Baumettes, on ouvre la porte de la cellule. J'entends dire que le condamné sommeillait, mais ne dormait pas. On le "prépare", C'est assez long, nous attendons. Personne ne parle. Ce silence, et la docilité apparente du condamné, soulagent, je crois, les assistants. On n'aurait pas aimé entendre des cris ou des protestations. Le cortège se reforme, et nous refaisons le chemin en sens inverse. Il est jeune. Les cheveux très noirs, bien coiffés. Le visage est assez beau, des traits réguliers, mais le teint livide, et des cernes sous les yeux. Il n'a rien d'un débile, ni d'une brute. C'est plutôt un beau garçon. Il fume sa cigarette, qui est presque terminée, et on lui en donne une autre. Il a les mains libres et fume lentement. C'est à ce moment que je vois qu'il commence vraiment à réaliser que c'est fini – qu'il ne peut plus échapper, que c'est là que sa vie, que les instants qui lui restent à vivre dureront tant que durera cette cigarette. La deuxième cigarette est terminée. Il s'est déjà passé près d'un quart d'heure. Un gardien, jeune et amical, s'approche avec une bouteille de rhum et un verre. Il demande au condamné s'il veut boire et lui verse un demi-verre. Le condamné commence à boire lentement. Maintenant il a compris que sa vie s'arrêterait quand il aurait fini de boire. C'est à ce moment que les sentiments commencent à s'entremêler. Cet homme va mourir, il est lucide, il sait qu'il ne peut rien faire d'autre que de retarder la fin de quelques minutes. Et ça devient presque comme un caprice d'enfant qui use de tous les moyens pour retarder l'heure d'aller au lit