Raymond aron et la croissance fragile des 30 glorieuses
La commission « 1985 » supposait que jusqu'à cette date les taux de croissance d'après-guerre ne diminueraient pas. Le plus éminent des économistes français, M. Malinvaud inclinait vers la thèse qu'une mutation s'était produite entre l'avant et l'après-guerre grâce à divers facteurs (entre autres le progrès des gestionnaires de l'économie) et que les nouveaux taux (5 à 6 %) pouvaient représenter la nouvelle norme. Quand je fus invité à "plancher" devant la commission « 1985 », j'exprimai immédiatement mon doute sur la perpétuation de ce taux annuel de croissance...
Si je ne convainquis pas la commission, la faute m’en incombe. Pas plus que la commission, je ne mentionnai le bas prix de l'énergie comme une des circonstances qui favorisaient la rapidité du développement des pays industrialisés. Je mis l'accent sur d'autres données qui expliquaient les «miracles»: l'introduction des techniques de production et d'organisation observées aux Etats-Unis, la formation en Europe occidentale d'un grand marché, la chance de rattraper le retard imputable aux guerres et aux bouleversements de l’entre-deux-guerres…
En 1956, à la suite de la crise du canal de Suez, dans l'introduction de l'ouvrage Espoir et peur du siècle, je constatai que, pour la première fois, l'Europe ne contrôlait plus les voies de ravitaillement de son industrie [... ]. Le livre intitulé Les Désillusions du progrès, je l'écrivis en 1964 1965, avant l'explosion des étudiants, bien avant la crise pétrolière de 1974. [...] Les Désillusions du progrès ne contredisent pas l'optimisme apparent de la théorie de la croissance, elles en limitent la portée. Ce que les « trente glorieuses » nous ont appris, c'est que le progrès économique, l'augmentation de la productivité du travail peuvent