Raison et passion chez Rousseau
L'opposition entre raison et passion est classique en philosophie :
L'homme, par définition, serait un animal raisonnable.
La passion, soumission irréfléchie et incontrôlée aux désirs, serait associée à la fois à la passivité et à la souffrance.
Les passions devraient donc être combattues. Le sage, ayant pleinement réalisé sa nature d'être raisonnable, devrait être sans passion.
Contrairement à cette tradition, Rousseau ne condamne pas les passions en elles-mêmes.
Pour Rousseau, certaines passions sont naturelles, antérieures à la raison et bénéfiques :
L'amour de soi "qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation" (Discours, note o)
La pitié qui "nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables" (Discours, Première partie) .
Ce sont les passions perverties par la raison délirante que Rousseau condamne. Ainsi, l'amour propre (à ne pas confondre avec l'amour de soi), qui nous pousse à nous comparer aux autres et à vouloir les dominer, est une passion néfaste engendrée par la raison :
C'est la raison qui engendre l'amour-propre, et c'est la réflexion qui le fortifie; c'est elle qui replie l'homme sur lui-même; c'est elle qui le sépare de tout ce qui le gène et l'afflige. C'est la philosophie qui l'isole; c'est par elle qu'il dit en secret, à l'aspect d'un homme souffrant : "péris si tu veux, je suis en sureté." Il n'y a plus que les dangers de la société toute entière qui troublent le sommeil tranquille du philosophe et qui l'arrachent de son lit. On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre; il n'a qu'à mettre ses mains sur ses oreilles et s'argumenter un peu pour empêcher la nature qui se révolte en lui de l'identifier avec celui qu'on assassine. L'homme sauvage n'a point cet admirable talent; et faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer étourdiment au premier sentiment de l'humanité.
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité