Racine
Quel fruit espères-tu de tant de violence ?
Tu frémiras d’horreur si je romps le silence.
ŒNONE
Et que me direz-vous qui ne cède, grands dieux !
À l’horreur de vous voir expirer à mes yeux ?
PHÈDRE
Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable,
Je n’en mourrai pas moins : j’en mourrai plus coupable.
ŒNONE
Madame, au nom des pleurs que pour vous j’ai versés,
Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez mon esprit de ce funeste doute.
PHÈDRE
Tu le veux ? lève-toi.
ŒNONE
Parlez : je vous écoute.
PHÈDRE
Ciel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?
ŒNONE
Par de vaines frayeurs cessez de m’offenser.
PHÈDRE
Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !
Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !
ŒNONE
Oublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.
PHÈDRE
Ariane, ma sœur ! de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !
ŒNONE
Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?
PHÈDRE
Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.
ŒNONE
Aimez-vous ?
PHÈDRE
De l’amour j’ai toutes les fureurs.
ŒNONE
Pour qui ?
PHÈDRE
Tu vas ouïr le comble des horreurs…
J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime…
ŒNONE Qui ?
PHÈDRE
Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…
ŒNONE
Hippolyte ? Grands dieux !
PHÈDRE
C’est toi qui l’as nommé !
ŒNONE
Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !
Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage