Quand le front cherra
Amélie décida de profiter de cette belle fin d'après-midi pour flâner un peu dans les jardins du château. Elle était privée de ce plaisir depuis plusieurs jours car il bruinait régulièrement en cette fin de saison.
Alors qu'elle passait sous le grand orme, elle aperçut s'approcher le lieutenant Beaulouis, qui comme chaque mardi venait lui tenir compagnie. Tout frais émoulu de l'école militaire, et son uniforme lui sied déjà comme s'il l'eut toujours porté, pensa-t-elle. Les feuilles bruissaient mélodieusement au-dessus de sa tête, tandis qu'une colonne d'eau sourdait de la fontaine à côté. Le lieutenant salua Amélie et lui enleva délicatement une feuille qui avait chu dans ses cheveux. A chacune de leur promenade, il soulait lui dire comme il était féru d'elle. Et cette fois encore, la peur la transit. Ce beau jeune homme issu d'une grande famille lui aussi l'attirait bien, mais son métier lui remémorait trop la mélancolie de sa mère, épouse et veuve d'officier. Tôt ou tard, au jour poignant, il partira lui aussi en guerre et ne reviendra plus.
Peu me chaut qu'il ait choisi le métier des armes, si seulement il pouvait rester loin du front. Mais bien que non dépourvu de bon sens, le beau lieutenant ne l'entendit point ainsi. J'ai ouï dire que la hiérarchie vous avait mandé lui demanda-t-elle. Oui en effet, répondit-il d'un air las ; il appert que le front ne réclame plus de renfort, ce qui prolonge mon affectation à Paris et pourrait même la rendre définitive.
Cette nouvelle laissa Amélie bouche bée. Il lui apprenait subitement qu'il ferait probablement carrière dans un état-major proche d'elle alors même qu'elle se demandait comment éconduire celui pour qui son cœur battait. Tandis que le soleil se couchait lentement, leur promenade les mena jusqu'aux alentours des sépultures familiales parmi lesquelles gisait son défunt père, l’officier. Les deux amis contournèrent le petit cimetière que la famille avait jadis enclos, et s'en retournèrent