Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre et l'avertir de ce qu'il y trouvera. Le public aime les romans faux, ce roman est un roman vrai. Il aime les livres qui font semblant d'aller dans le monde; ce livre vient de la rue. Il aime les petites oeuvres polissonnes, les mémoires de filles, les confessions d'alcôves, les saletés érotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des librairies; ce qu'il va lire est sévère et pur. Qu'il ne s'attente point à la photographie décolletée du plaisir, l'étude qui suit est la clinique de l'amour. Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les imaginations qui ne dérangent ni sa digestion, ni sa sérénité. Ce livre avec sa triste et violente distraction est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène. Pourquoi donc l'avons-nous écrit ? Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses goûts ? Non. Vivant au dix-neuvième siècle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu'on appelle les "basses classes" n'avait pas droit au roman; si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l'interdit littéraire et des dédains d'auteurs qui ont fait jusqu'ici le silence sur l'âme et le coeur qu'il peut avoir, nous nous sommes demandé s'il y avait encore pour l'écrivain et pour le lecteur, en ces années d'égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop peu nobles. Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d'une littérature oubliée et d'une société disparue, la tragédie, était définitivement morte; si, dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l'intérêt, à l'émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches; si en un mot les larmes qu'on pleure en bas pourraient faire pleurer comme