Platon: amour - désir
Quand donc un homme, qu'il soit porté pour les garçons ou pour les femmes, rencontre celui-là même qui est sa moitié, c'est un prodige que les transports de tendresse, de confiance et d'amour dont ils sont saisis ; ils ne voudraient plus se séparer, ne fût-ce qu'un instant. Et voilà les gens qui passent toute leur vie ensemble, sans pouvoir dire d'ailleurs ce qu'ils attendent l'un de l'autre ; car il ne semble pas que ce soit le plaisir des sens qui leur fasse trouver tant de charme dans la compagnie l'un de l'autre. Il est évident que leur âme à tous deux désire autre chose, qu'elle ne peut pas dire, mais qu'elle devine et laisse deviner. Si pendant qu'ils sont couchés ensemble, Héphaïstos leur apparaissait avec ses outils et leur disait : « Hommes, que désirez-vous l'un de l'autre ? » et si, les voyant embarrassés, il continuait : « L'objet de vos voeux n'est-il pas de vous rapprocher autant que possible l'un de l'autre, au point de ne vous quitter ni nuit ni jour ? Si c'est là ce que vous désirez, je vais vous fondre et vous souder ensemble, de sorte que de deux vous ne fassiez plus qu'un, que jusqu'à la fin de vos jours vous meniez une vie commune, comme si vous n'étiez qu'un, et qu'après votre mort, là-bas, chez Hadès, vous ne soyez pas deux, mais un seul, étant morts d'une commune mort. Voyez si c'est là ce que vous désirez, et si en l'obtenant vous serez satisfaits . » À telle demande nous savons bien qu'aucun d'eux ne dirait non et ne témoignerait qu'il veut autre chose : il croirait tout bonnement qu'il vient d'entendre exprimer ce qu'il désirait depuis longtemps, c'est-à-dire de se réunir et de se fondre avec l'objet aimé et de ne plus faire qu'un au lieu de deux.
Et la raison en est que notre ancienne nature est telle et que nous étions un tout complet : c'est le désir