Paul claudel
(...) — Ma chère, nous parlions de vous. Est-ce que c'est vrai que vous n'avez jamais été au théâtre ? Marthe Jamais. Lechy Elbernon O ! Et que jamais vous n'étiez sortie de votre pays ? {Marthe fait un signe que oui.) Et voici qu'il vous a emmenée ici. Moi je connais le monde. J'ai été partout. Je suis actrice, vous savez. Je joue sur le théâtre. Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c'est ?
Marthe
Non.
Lechy Elbernon
II y a la scène et la salle. Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par rangées les uns derrière les autres, regardant. Marthe Quoi ? Qu'est-ce qu'ils regardent, puisque tout est fermé ? Lechy Elbernon Ils regardent le rideau de la scène, Et ce qu'il y a derrière quand il est levé. Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c'était vrai.
Marthe
Mais puisque ce n'est pas vrai ! C'est comme les rêves que l'on fait quand on dort. Lechy Elbernon C'est ainsi qu'ils viennent au théâtre la nuit. Thomas Pollock Nageoire Elle a raison. Et quand ce serait vrai encore ? Qu'est-ce que cela me fait ? Lechy Elbernon Je les regarde, et la salle n'est rien que de la chair vivante et habillée. Et ils garnissent les murs comme des mouches, jusqu'au plafond. Et je vois ces centaines de visages blancs. L'homme s'ennuie, et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance. Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre. Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux. Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller. Et je les regarde aussi, et je sais qu'il y a là le caissier qui sait que demain On vérifiera les livres, et la mère adultère dont l'enfant vient de tomber malade, Et celui qui vient de voler pour la première fois, et celui qui n'a rien fait de tout le jour. Et ils regardent et écoutent comme s'ils dormaient.