Fiche 5 L’invention temporelle dans Une double famille Au début des années 30, Balzac, qui a déjà publié une série de romans sous pseudonyme, commence sa « vraie » carrière d’auteur de la Comédie humaine. Comme le montre sa Physiologie du mariage, de 1829, Balzac est alors préoccupé par une réalité contemporaine très problématique, celle du statut de la femme, mais aussi du mari, dans les conditions matrimoniales très inégalitaires qui caractérisent la société de la Restauration. Sur le mariage, la faute des femmes, la sublimité ou la bêtise des maris et des épouses, les récits qu’il publie alors jettent des éclairages variés, contradictoires. Délices du mariage d’amour et perfidie naturelle de la Femme, irrédentisme amoureux ou nécessité de la contrainte sociale : Balzac rencontre et reprend les préjugés, les rêves et les réalités du temps. Mais la lumière blanche du vrai, de la doxa, du fantasme, en passant par le prisme romanesque, se diffracte et s’irise. C’est dans la perspective d’une telle diffraction qu’il faut placer les propos qui suivent : pour dire adéquatement, ou honnêtement, la configuration thématique complexe qui le mobilise au début des années trente, Balzac invente en particulier de nouvelles façons de configurer narrativement le temps. Dans Une double famille, paru en 1830, Balzac procède par exemple à une impressionnante et savante dislocation de l’ordre narratif – pour reprendre une formule de Claude-Edmonde Magny, qui loue « la narration savamment disloquée » de ce bref roman. Mais que lisons-nous dans Une double famille ? Le récit d’une idylle, tout d’abord, que deux scènes d’intérieur charmantes emblématisent : scène d’amour fougueux d’abord, en septembre 1816, lorsque Roger, le héros, se précipite (au présent historique) sur Caroline son amie et « l’entraîne, ou plutôt ils marchent par une volonté unanime, quoique enlacés dans les bras l’un de l’autre vers [la] chambre discrète et embaumée ». Et amour tendre, en mai 1822, lorsque le