P. B. - Nous avons un rapport ambivalent à la communication à distance, à la fois nous l'aimons et nous nous en défions. Le succès d'Internet est lié à des difficultés apparues dans le lien social, que l'on connaît et que l'on mesure. Il aide à contourner celles qu'éprouvent certains à entrer en contact direct : prise de parole, phobie, timidité sociale... Il peut donc trouver un écho dans une partie de la population. La question reste de savoir si Internet est un bon « porte-parole », qui garantit l'intégralité et l'intégrité du message. Je suis réservé sur ce point. Entrons-nous, dès lors, dans une société de communication à distance ? Cela revient à se demander si les constantes anthropologiques sont bouleversées. Je ne vois pas là de révolution, même s'il faut se garder de jouer les prophètes. Un noyau de personnes pense que le point ultime de l'individualisme est la séparation physique, la « dé-fusion ». On touche au coeur du projet des sociétés individualistes qui montent en puissance depuis la Renaissance, phénomène qui s'est accru depuis un demi-siècle. Certains, très favorables à la communication indirecte, prônent une société sans contacts physiques synonyme de moindre violence sociale. Pour ma part, je pense que la perte serait plus grande que le gain. Mais je ne peux l'exclure, auquel cas nous serions bien dans un renversement des tendances qui, depuis deux cent mille ans, privilégient la communication directe et orale. Si nous basculions vers un modèle sans contact physique et sans communication de visu, les nouvelles technologies se trouveraient en situation très favorable.
Internet est souvent présenté comme un outil qui redonne du pouvoir à l'individu. En même temps, il est très universel. N'y a-t-il pas là un paradoxe ?
P. B. - Je parlerais plutôt de dissonance dans une société qui a placé l'individu au centre mais qui a uniformisé un certain nombre d'activités traditionnelles. Les moeurs, la mode sont très collectives, on porte le même jean de