Mémoires d’outre-tombe, chateaubriand « le gazouillement d’une grive »
(1848 - 1850, posthume)
« Le gazouillement d’une grive »
I,III, 1
Hier au soir je me promenais seul; le ciel ressemblait à un ciel d’automne; un vent froid soufflait par intervalles. A la percée d’un fourré, je m’arrêtai pou regarder le soleil; il s’enfonçait dans des nuages au-dessus de la tour d’Alluye, d’où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés.
Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’un grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. A l’instant, ce son magique fit repaître à mes yeux le domaine paternel; j’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin et transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive. Quand je l’écoutais alors, j’étais triste de même qu’aujourd’hui mais cette première tristesse était celle qui naît d’un désir vague de bonheur,lorsqu’on est sans expérience; la tristesse que j’éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l’oiseau dans les bois de Combourg m’entretenait d’une félicité que je croyais atteindre; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n’ai plus rien à apprendre, j’ai marché plus vite qu’un autre, et j’ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m’entraînent; je n’ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires; Dans combien de temps me promènerai-je au bord des bois? Mettons à profit le peu d’instants qui me restent; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j’y touche encore; le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s’éloigne et qui va bientôt disparaître
Plan du commentaire :
Introduction
I - La fuite du temps
Transiiton