Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point
Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point,
Et malheureuse soit la flatteuse espérance,
Quand pour venir ici j'abandonnai la France:
La France, et mon Anjou, dont le désir me point.
Vraiment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon c?ur me donnait assez de signifiance
Que le ciel était plein de mauvaise influence,
Et que Mars était lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon avis lors m'en voulut distraire,
Mais toujours le destin me tirait au contraire:
Et si mon désir n'eût aveuglé ma raison,
N'était-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l'huis, d'un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ?
Les Regrets, de Joachim du Bellay, publiés en 1558, sont souvent considérés comme la consécration de son art. Leur touchante simplicité donne à ces sonnets une puissance lyrique exceptionnelle et font entrer le lecteur au plus profond de l'âme du poète. En effet, ces sonnets reflètent les état d'âmes de leur auteur, piégé par son destin, et dans l'incapacité de remonter le temps. Ce sonnet, le vingt-cinquième du recueil, est une élégie poignante au sein de laquelle Du Bellay évoque la mélancolie de sa terre natale due à son incapacité de contrôler l'incontrôlable: son destin.
Le terme 'destin', qui se réfère à ce qui est déterminé, est bel et bien au c?ur de ce sonnet et représente la source des maux de l'auteur. Le titre, qui est également repris dans le tout premier vers, exprime la puissance de ce destin par le nombre de pauses irrégulières entre chaque terme. Cette accumulation donne presque l'impression que le temps, frère d'arme du destin, assène coup après coup et ne laisse aucune liberté d'action à l'auteur qui se retrouve étouffé par cette fatalité à laquelle il ne peut échapper. Le fait que l'accumulation s'effectue de l'unité temporelle la plus grande à la plus petite accentue encore cet aspect inexorable du destin. Nous