Llooooll
Au pied du micro, une petite flaque, nappe de sueur, gouttes d'eau de vie, d'une vie qui saigne et perle de chacun des pores de la peau écorchée de tout son corps tordu, entortillé tel un linge, gargouille ruisselante au-dessus d'une fosse... C'est Brel dans son "tour de chant". L'image la plus forte qu'on puisse imaginer et retenir. L'image indélébile, celle qui ne sèche pas.
Brel, en scène, est l'être de chair, de sang et d'eau qui, tout d'abord, laisse une part de son poids - et pas du tout négligeable : cinq à six cents grammes en un peu plus d'une heure, une heure seulement, et il en abandonne les traces à ses pieds, au bas du micro. S'il a beaucoup transpiré, s'il a autant postillonné que craché son venin d'amour d'homme révolté, il ne s'est guère éloigné du piquet dressé devant lui, un micro qui n'avait alors rien de baladeur...
Vingt ans après sa disparition, plus de trente ans après ses adieux à la scène, comment pareille image d'un homme en état de transe sudatoire donne-t-elle une idée de son art scénique ? C'est un souvenir semblable qu'évoque le guérillero du rock que fut Joe Strummer, du groupe Clash. "Quand je repense à Clash, je n'ai aucune image, aucun son... Je me souviens seulement d'une intensité extrême et de la sueur". La sueur, les rockers connaissent ! Et on pourrait croire qu'ils n'ont pas à envier celle de Brel... Si ! Car la leur s'éparpille partout sur la scène, s'égrène d'un élément du "matos" à un autre ; la leur se répand et s'évapore dans les fumigènes lumineux. Elle n'est pas là, dense, compacte, pièce à conviction du corps mouillé, de la chemise inondée, du coeur essoré, de l'âme trempée. Devoir paraître en scène conduisait Brel, régulièrement, à vomir en coulisses. Etre en scène l'amenait à se vider, toujours, là où il se plantait, droit, debout, seul. Il fonçait et il fondait...
Pierre FAVRE[1]
Principales dates[2]
|1929 : |Jacques Brel naît le 8 avril à Bruxelles.