Les bureaux, alain breton
Une fin d’après-midi d’octobre 1926, le narrateur, désœuvré, se promène dans le quartier de l’Opéra à Paris. Il va rencontrer une étrange jeune femme qui lui dira s’être choisi le prénom de Nadja « parce qu’en russe, c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement. »
Les bureaux, les ateliers commençaient à se vider, du haut en bas des maisons des portes se fermaient, des gens sur le trottoir se serraient la main, il commençait tout de même à y avoir plus de monde. J’observais sans le vouloir des visages, des accoutrements, des allures. Allons, ce n’étaient pas encore ceux-là qu’on trouverait prêt à faire la Révolution. Je venais de traverser ce carrefour dont j’oublie ou j’ignore le nom, là, devant une église. Tout à coup, alors qu’elle est peut être à dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, très pauvrement vêtue, qui, elle aussi, me voit ou m’a vu. Elle va la tête haute, contrairement à tous les autres passants. Si frêle qu’elle se pose à peine en marchant. Un sourire imperceptible erre peut-être sur son visage. Curieusement fardée, comme quelqu’un qui, ayant commencé par les yeux, n’a pas eu le temps de finir, mais le bord des yeux si noir pour une blonde […]
Je n’avais jamais vu de tels yeux. Sans hésitation j’adresse la parole à l’inconnue, tout en m’attendant, j’en conviens du reste, au pire. Elle sourit, mais très mystérieusement, et, dirais-je, comme en connaissance de cause, bien qu’alors je n’en puisse croire. Elle se rend, prétend-elle chez un coiffeur du boulevard Magenta (je dis : prétend-elle, parce que sur l’instant j’en doute et qu’elle devait connaître par la suite qu’elle allait sans but aucun). Elle m’entretient bien avec une certaine insistance de difficultés d’argent qu’elle éprouve, mais ceci, semble-t-il, plutôt en manière d’excuse et pour expliquer l’assez grand dénuement de sa mise. Nous nous