Les blasons
Recueil : Les contemplations.
Les femmes sont sur la terre
Pour tout idéaliser ;
L'univers est un mystère
Que commente leur baiser.
C'est l'amour qui, pour ceinture,
A l'onde et le firmament,
Et dont toute la nature,
N'est, au fond, que l'ornement.
Tout ce qui brille, offre à l'âme
Son parfum ou sa couleur ;
Si Dieu n'avait fait la femme,
Il n'aurait pas fait la fleur.
A quoi bon vos étincelles,
Bleus saphirs, sans les yeux doux ?
Les diamants, sans les belles,
Ne sont plus que des cailloux ;
Et, dans les charmilles vertes,
Les roses dorment debout,
Et sont des bouches ouvertes
Pour ne rien dire du tout.
Tout objet qui charme ou rêve
Tient des femmes sa clarté ;
La perle blanche, sans Eve,
Sans toi, ma fière beauté,
Ressemblant, tout enlaidie,
A mon amour qui te fuit,
N'est plus que la maladie
D'une bête dans la nuit.
Victor Hugo
(1802-1885)
Il pleure dans mon coeur.
Recueil : Romances sans paroles.
Il pleure dans mon coeur,
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur,
Qui pénètre mon coeur ?
Ô bruit doux de la pluie,
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison,
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine,
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !
Verlaine
J'ai tant rêvé de toi.
Recueil : Corps et biens.
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m'est chère ?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
A se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
Au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.