Leopold
“La jeune Parque”
(1917)
Poème de 512 alexandrins
«Le Ciel a-t-il formé cet amas de merveilles
Pour la demeure d'un serpent?»
Pierre Corneille.
Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure Seule avec diamants extrêmes?... Mais qui pleure, Si proche de moi-même au moment de pleurer?
Cette main, sur mes traits qu'elle rêve effleurer, Distraitement docile à quelque fin profonde, Attend de ma faiblesse une larme qui fonde, Et que de mes destins lentement divisé, Le plus pur en silence éclaire un cœur brisé. La houle me murmure une ombre de reproche,
10 Ou retire ici-bas, dans ses gorges de roche, Comme chose déçue et bue amèrement, Une rumeur de plainte et de resserrement... Que fais-tu, hérissée, et cette main glacée, Et quel frémissement d'une feuille effacée Persiste parmi vous, îles de mon sein nu? Je scintille, liée à ce ciel inconnu... L'immense grappe brille à ma soif de désastres.
Tout-puissants étrangers, inévitables astres Qui daignez faire luire au lointain temporel
20 Je ne sais quoi de pur et de surnaturel ; Vous qui dans les mortels plongez jusques aux larmes Ces souverains éclats, ces invincibles armes, Et les élancements de votre éternité, Je suis seule avec vous, tremblante, ayant quitté Ma couche ; et sur l'écueil mordu par la merveille, J'interroge mon cœur quelle douleur l'éveille, Quel crime par moi-même ou sur moi consommé?... ... Ou si le mal me suit d'un songe refermé, Quand (au velours du souffle envolé l'or des lampes)
30 J'ai de mes bras épais environné mes tempes, Et longtemps de mon âme attendu les éclairs? Toute? Mais toute à moi, maîtresse de mes chairs, Durcissant d'un frisson leur étrange étendue, Et dans mes doux liens, à mon sang suspendue, Je me voyais me voir, sinueuse, et dorais De regards en regards, mes profondes forêts.