Le voyageur d appolinaire
Ce texte publié une première fois (ponctué) dans « Les soirées de Paris » apparaît très curieusement kaléidoscopique, tel un tissage d’éléments disparates. Mais très vite il apparaît également que derrière la discontinuité et l’empilement d’éléments hétérogènes se jouent d’obsédantes reprises (« Te souviens-tu ? »).
Fernand Fleuret, à qui ce texte est dédié, le définit comme une des « chansons farcies », des « complaintes populaires » qu’Apollinaire et lui se plaisaient à composer. Le motif : un homme frappe en pleurant à la porte… de sa propre vie, à la porte du temps, de la mémoire, du Grand secret…
Il s’agit d’une écriture de l’incertitude d’exister dont le motif est livré par le deuxième vers qui se trouve répété à la fin : L’Euripe est un bras de mer qui sépare l’Eubée de l’Attique et où le courant change jusqu’à 14 fois de sens en 24 heures… Le lecteur est surpris notamment par la multiplication des sujets : Je, tu, on, vous. De sorte que la question de l’énonciation lyrique est posée de façon déroutante : qui parle à qui… et de quoi ? Plus précisément, le texte est traversé de figures à la fois précises et incertaines : « Quelqu’un », « un autre », « deux matelots », des « femmes sombres », « tous les regards de tous les yeux », « les ombres »… Le NOUS et le TU restent incertains, aussi bien que le ON.
Mais l’adresse est assez insistante, le questionnement assez répétitif pour laisser entendre l’un des enjeux pathétiques d’Alcools : la quête de l’autre. Le dialogue ne s’installe pas : il est troublé : les questions et les invocations restent sans réponse. L’univers de références du texte est lui aussi incertain, très flou… Cependant, les lecteurs érudits et attentifs[3] ont pu observer dans cet apparent désordre nombre d’éléments qui renvoient à des détails précis de la vie d’Apollinaire : évocation de son voyage au Luxembourg,