En 1955, alors qu'elle est âgée de huit ans et demi, Anny Duperey perd ses deux parents, Ginette et Lucien Legras, qui meurent un dimanche matin asphyxiés au monoxyde de carbone dans leur salle de bains. C’est la petite fille qui les trouve et cette scène tragique est la seule chose qu’elle se rappelle des huit années et demi passées avec eux. De ses parents, elle ne garde aucun souvenir, aucune trace : un « voile noir » est tombé sur la mémoire de tout ce qui a précédé le drame et l’oblitère totalement. Vingt ans plus tard, Anny Duperey se décide à faire développer les nombreuses photographies prises par Lucien Legras, photographe semi-professionnel de grand talent. Encore bien des années après, elle accepte de les regarder, dans l’idée de sélectionner les plus belles pour en faire un album et le publier. Evidemment, le choc émotionnel provoqué par la rencontre avec ces images, regardées plus de trente-cinq ans après le deuil, est de taille. Ce qui devait être, au départ, un simple commentaire, se transforme en un long discours autobiographique qui essaye d’« écouter ce qu[e les photos] disent », puis de s’en servir comme d’un levier pour essayer de soulever un coin du voile noir. La relation du texte à l’image est ici fondamentale. D’une part parce que la photographie est le moteur du livre, sa raison d’être. En aucun cas, l’intention première n’a été de se raconter, mais bien plutôt de rendre hommage au talent de Lucien Legras, membre du groupe des sept. D’autre part, l’auteur espère que la contemplation des photographies va jouer le rôle d’un révélateur et qu’à force de les décrire, d’écrire sur elles, le souvenir effacé finira par se reconstituer. Mais le mécanisme de réminiscence ne fonctionne pas et la méditation sur l’image se mue en déchiffrement psychologique des êtres qui y figurent. Petit à petit, l’auteur en vient à s’interroger sur elle-même et la façon dont elle a rejeté tout ce qui touchait à cet avant de sa vie. L’image joue alors un rôle quasi