Le silence de la mer
Pendant la seconde guerre mondiale, sous l’occupation allemande, les Français étaient souvent dans l’obligation de loger chez eux des officiers allemands.
Ce fut ma nièce qui alla ouvrir quand on frappa. Elle venait de me servir mon café, comme chaque soir (le café me fait dormir). J’étais assis au fond de la pièce, relativement dans l’ombre. La porte donne sur le jardin, de plain-pied. Tout le long de la maison court un trottoir de carreaux rouges très commode quand il pleut. Nous entendîmes marcher, le bruit des talons sur le carreau. Ma nièce me regarda et posa sa tasse. Je gardai la mienne entre mes mains. Il faisait nuit, pas très froid : ce novembre-là ne fut pas très froid. Je vis l’immense silhouette, la casquette plate, l’imperméable jeté sur les épaules comme une cape. Ma nièce avait ouvert la porte et restait silencieuse. Elle avait rabattu la porte sur le mur, elle se tenait elle-même contre le mus, sans rien regarder. Moi je buvais mon café, à petits coups. L’officier, à la porte, dit : « S’il vous plaît. » Sa tête fit un petit salut. Il sembla mesurer le silence. Puis il entra. La cape glissa sur son avant-bras, il salua militairement et se découvrit. Il se tourna vers ma nièce, sourit discrètement en inclinant très légèrement le buste. Puis il me fit face et m’adressa une révérence plus grave. Il dit : « Je me nomme Werner von Ebrennac. » J’eus le temps de penser très vite : « Le nom n’est pas allemand. Descendant d’émigré protestant ? » Il ajouta : « Je suis désolé. » Le dernier mot, prononcé en traînant, tomba dans le silence. Ma nièce avait fermé la porte et restait adossé au mur, regardant droit devant elle. Je ne m’étais pas levé. Je déposai lentement ma tasse vide sur l’harmonium et croisai mes mains et attendis. L’officier reprit : « Cela était naturellement nécessaire. J’eusse évité, si cela était possible. Je pense mon ordonnance fera tout pour votre tranquillité. » Il