Le sauvage blanc
Je ne sais pas répondre à ces questions. Je sais seulement que l'histoire de Narcisse n'est pas une simple anecdote. Mes humanités au lycée de Grenoble, mes lectures, mes visites à la Société de Géographie, tout ce que j'ai découvert et appris en Islande et dans le Pacifique, y compris sur moi-même : rien de tout cela ne m'aide à comprendre Narcisse, mais tout m'y prépare. Je n'ai pas les outils pour analyser ce que son évolution nous enseigne. Je commence à comprendre qu'il me faudra les forger.
Lorsque nous serons arrivés en France, ma mission ne sera pas terminée. Comment pourrais-je l'abandonner sur le quai ?
Narcisse vivra sa vie, auprès de sa famille si j'arrive à la retrouver, ou sinon installé par moi dans quelque place où son avenir sera assuré. Mais les notes que j'aurai prises en l’observant continûment pendant des mois doivent fonder une vaste réflexion dont j’aperçois à peine les prémisses – et dont je ne sais pas si j'aurai la force ou le courage de la mener à bien. L'histoire de Narcisse est plus grande que Narcisse, et les théories à construire sont plus grandes que son histoire. Les anecdotes autour de son retour en France, dont je devine la variété et l'attrait, ne seront pas des distractions, mais des obstacles. Je dois m'en